... quand la politesse s'acoquine à l'hypocrisie.
Il était une fois, un nomade qui s'était installé dans une oasis reculée. Un jour, une caravane opulente vint à passer par là.
Notre homme près et heureux de répondre à son devoir d'hospitalité, alla au devant de ces étrangers, les saluant et invitant le chef de ce groupe à partager sa maigre pitance.
D'un riche palanquin juché sur le dos d'un grand chameau blond, une voix se fit entendre :
- ah mon ami, je suis bien aise de vous rencontrer en ces lieux.
- homme ! comment vas-tu ? viens vite te mettre à l'abri du soleil sous l'ombre généreuse de ces dattiers et te désaltérer à la source fraîche qui vit ici.
L'homme descend, richement vêtu et d'une démarche superbe :
- sachez mon ami que "homme" me sied guère et qu'il est plus juste de m'appeler Maître.
Le nomade, homme libre et ne comprenant pas le sens de ce mot :
- maître ? voilà une famille ou une tribu que je ne connais pas ! Mais viens vite "maître", il est temps pour toi de te reposer un peu. Comment vas ta famille, tes enfants et tes troupeaux ? Bois ce lait, Grâce à Dieu, je viens juste de le tirer de ma chèvre, l'ignorant que je suis ne savais pas que c'était pour toi.
Le prince prit la calebasse offerte avec un léger geste de recul, fit un signe de la main et aussitôt un grand esclave noir vint avec une coupe d'argent ciselée. Il y versa le breuvage, la tendit à son maître qui la vida d'un trait.
- merci mon brave. Est-ce là tout votre bien ? demande-t-il en désignant une chèvre et deux chameaux.
- oui et non car Dieu, dans Sa grande mansuétude m'a offert un cabri voilà dix jours. Mais de ce pas, je vais l'égorger, le rôtir et tu pourras ainsi te restaurer comme il faut.
- n'en faites rien je vous en prie, je ne saurai porter atteinte à vos intérêts ... bien qu'il est vrai que la viande rôtie d'une jeune chèvre est tendre et goûteuse.
- installe toi maître et attends un peu, tu es sous ma tente comme chez toi.
Quelques temps après, le cabri est rôti, mangé, arrosé de thé, presque digéré.
Les outres de la caravane du prince sont remplies d'eau fraîche, les paniers de dattes.
- eh bien mon brave je vais reprendre mon chemin. Je vais à Id Aïssa, suis-je sur la bonne route ?
- oui oui ! tout droit vers le Sud-Est. En tous cas, merci pour ta visite. Que Dieu te protège, et reviens quand tu veux. Mais avant, j'ai quelque chose à te demander ...
- je n'ai plus le temps de vous écouter : mes hommes et mes animaux s'impatientent !
- c'est seulement ...
- bien sûr mon brave, vous serez toujours de mon bon souvenir et longtemps dans mes prières vous bénéficierez de mes louanges. Ne craignez rien, je ne vous oublierais pas !
Sur ce , il referme le rideau de son palanquin, un fouet claque et la lourde caravane s'ébranle dans un nuage de poussière qui enveloppe notre nomade, planté là, sa question toujours suspendue à ses lèvres :
- maître ? ça veut dire quoi maître ?