bienvenue en Terre d'Argany

Voilà plus de 10 ans que je sillone le Sahara et plus je rencontre ses habitants noirs ou magrhebins, et plus je me dis qu'il n'éxiste qu'une humanité et qu'une citoyenneté. 
Alors je vous offre cet espace pour que vous aussi, citoyens du Monde, fassiez part de vos envies, vos joies, vos regrets ou vos coups de gueule, bref , que nous partagions ensemble un moment ou un coin d'humanité.

samedi 30 novembre 2013

BILAN

Elle rentre dans sa chambre et s’assied au pied de son lit. S’enroulant dans sa cape, elle est parcourue d’un léger frisson.
Éveillé par le froissement du drap, il la voit. Effrayé et ahuri par ce réveil un peu brutal, il se redresse, se cale contre l’oreiller et remonte prestement le drap jusqu’au menton pour se protéger de son inopportune visiteuse.
-      - Que fais-tu là ? demande-t-il ;
-      - Je viens te chercher, répond-elle. Une ombre de lassitude se posant alors sur son regard.
-      - Mais je n’avais pas prévu …
-      - Ben oui, je sais, dit-elle avec un léger haussement d’épaules, c’est souvent ainsi …
-      - Mais je ne peux pas partir avec toi maintenant ! j’ai tellement de choses à faire !
Ses yeux se tournent alors vers sa chambre à la recherche d’un moyen de secours mais il se rend compte que tout a changé : les bibelots et les tableaux précieux, accumulés toute une vie, le matériel « hi-tech », les dernières nouveautés, tout a disparu. Sa chambre n’est plus qu’un immense espace blanc, lumineux, immaculé.
-      - Bon ! tu te prépares, dit-elle, j’ai encore beaucoup de monde à visiter.
-      - Ben va les voir et viens me chercher plus tard !
-      - Plus tard, pour quoi faire ?
 - J’ai un conseil d’administration à diriger aujourd’hui, j’ai plusieurs rendez-vous importants, j’ai des amis à voir, …
-      Ah ! tu as des amis ?
Interloqué par cette question, face à la Mort qui vient de se lever et le regarde bien en face, il hésite, bafouille et finit par répondre :
- Bien sûr que j’ai des amis …
- Et qui sont ?
- Ben … François par exemple ! Pas plus tard qu’hier soir …
 Aah celui qui t’a laissé partir avec cette grosse voiture rouge alors que tu étais bourré ?
- Eueuh oui …
 C’est vrai, on peut appeler ça un ami.
- Bon OK mais il y a Bernard ...
- Celui que tu as grassement aidé il y a une dizaine d’années pour s’acheter un chalet à Avoriaz et qui ne t’as toujours pas remboursé ? Mouais, qui sont-ils vraiment ceux que tu aimes et qui t’aiment ?
-      mes enfants, Martine et Jonathan ?
-      Sais-tu où ils sont aujourd’hui ? ça fait quoi, douze ans que tu ne les as pas vu ?
-      C’est à cause de cette salope de Sylvie !
-      Ah ! on arrive aux amours …
-      Les amours : tu parles ! tout ce qu’elle voulait c’était une bague au doigt avec un gros diamant …
-      Qu’elle a eu d’ailleurs.
-      Je ne pèse pas plusieurs millions d’euros pour rien !
-      Hmmm, merveilleux, et alors revenons à tes enfants, tes amours.
-      Quels amours ? J’ai consacré ma vie à mon travail ! les enfants ? elle me les a volé …
-      Ah oui quand elle est partie avec … Bernard.
-      je devais faire du chiffre et j’en ai fait ! Ce n’est pas n’importe comment que je suis devenu ce que je suis …
-      Oui, un homme devant moi, qui doit faire le bilan de sa vie et qui mis à part son argent a du mal à remplir les colonnes.
-      … ?
-      Hormis ta réussite sociale, à qui, à quoi a servi ta vie ?
-      J’ai créé une association humanitaire …
-      Oui ! pour recevoir des fonds que tu as détournés pour sauver une de tes affaires qui était bancale.
-      J’ai aimé … j’ai aimé Natacha !
-      Natacha ?
Elle sort alors d’une des poches de sa cape un bloc-notes qu’elle se met à feuilleter.
-      Ah oui Natacha … tu avais quatorze ans … vous aviez des projets mais dis donc, que s’est-il passé ? demande-t-elle ironiquement.
-      Mes parents ne voulaient pas entendre parler d’elle.
-      Ah bon et pourquoi ?
-      Je ne pouvais pas bousiller mon cursus scolaire pour une gamine que l’on dirigeait vers une filière professionnelle.
-      Tu l’aimais, vous vous aimiez et tu n’as pas su, tu n’as pas eu le courage de passer outre ?
-      Je n’allais quand même pas courir toute ma vie après une … boulangère ou couturière, je ne sais plus.
-      Ben oui, c’est dommage, nous aurions pu commencer à remplir les colonnes de ton bilan.
En fait, on a beau chercher dans tous les coins, je vais t’emmener avec moi mais il n’y aura rien dans tes bagages : pas d’amis, pas d’amour, pas de souvenirs un tantinet humain, même pas un regret.

A quoi bon une vie humaine si elle est exsangue d’Humanité ?